Focus : L’utilisation de fioul polluant par les navires de transport maritime
- master1ipituvsq
- 27 mars 2019
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 5 avr. 2019
« Approchez-vous de la fenêtre, ici. Le monde a-t-il jamais été aussi lugubre, médiocre et ennuyeux ? Regardez ce brouillard jaunâtre qui s’étale le long de la rue et qui s’écrase inutilement contre ces mornes maisons ! »
C'est ainsi que Sherlock Holmes décrit le brouillard qui à la fin du 19ème siècle entoure Londres (1). Ce brouillard est dû aux premières industries qui relâchent massivement du dioxyde de soufre. Cette molécule est aujourd'hui bannie du monde industriel, car elle peut causer des pluies d'acide, en plus de pénétrer les poumons et de causer de l’asthme et diverses maladies cardio vasculaire. Malheureusement aujourd'hui, l'industrie maritime est la dernière à encore utiliser des carburants chargés en soufre et cela, en dépit des normes en vigueur.
« Fioul lourd et transport maritime : rejet polluant de la mondialisation »
La mondialisation a entraîné de nombreux changements économiques et environnementaux. Certains d'entre eux, comme l'industrie automobile ou l'industrie du raffinage et la chimie, sont rapidement pointés du doigt par les pouvoirs régulateurs et de nombreuses règles ont été mises en œuvre pour limiter la pollution de l'air par le dioxyde de soufre. Mais certains exploitants de la mondialisation qui répandent cette molécule sont passés entre les « mailles du filet » pendant des années : il s’agit du transport maritime. Ce n'est que récemment que des décisions ont été mise en œuvre à leur encontre.
Le transport maritime, que cela soit du transport de marchandises ou d'individus, est la source de pollutions très nombreuses : la pollution sonore du fait des moteurs extrêmement bruyants, ou encore l'introduction d'espèce invasive via un déplacement de l'eau de mer par les bateaux, drainée dans la cale pour stabiliser le navire. Il faudra s’intéresser ici exclusivement à la pollution de l'air que rejettent ces engins massifs.
Ce développement a pour but d'aborder les changements positifs ayant lieu concernant la pollution de l'air, puis des difficultés qu'il reste à franchir afin de réguler ce secteur très profitable pour le monde du commerce mais dont l'exploitation est très nocive pour l'environnement.
La pollution de l'air représente un désastre pour la biosphère et pour l'être humain. Cette pollution est responsable d'entraîner la mort de nombreux individus : 7 millions de personne par an à l'échelle mondiale (2) et 48 000 par an à l'échelle française (3). Une partie de cette pollution de l'air est causé par le transport maritime. Ainsi, dans une étude de l'université de Rostock et le centre de recherche sur l’environnement allemand Helmholtz Zentrum Munich (4), la pollution de l'air issue uniquement du transport maritime cause en Europe 50 000 à 60 000 morts par an.
Les navires de transport maritime et les navires de croisières utilisent des carburants chargés en fioul lourd, la combustion de ce carburant entraîne l'émission de particules ultra fines qui sont hautement volatiles et microscopique ce qui facilite son entrée dans les poumons. De plus ce fioul lourd est hautement chargé en dioxyde de soufre. Ce gaz est très nocif pour la biosphère car, en cas de contact avec de l'eau (H2O), le dioxyde de soufre (SO2) devient de l'acide sulfurique (SO4H2). La molécule devient alors « plus lourde » et va se déposer sur la végétation et le sol, ce qui entraîne une acidification et un appauvrissement des milieux naturels. Ce contact avec de l'eau peut aussi entraîner des pluies d'acides qui ont un effet dévastateur sur l'environnement ou même les constructions. L'utilisation massive des carburants de fioul lourd est liée au fait de son prix très bas comparé à d'autres carburants tel que le gaz naturel liquéfié (GNL).
Son utilisation est aussi due à l'évolution du métier d'armateur à la suite de la mondialisation. Aujourd'hui, beaucoup d'entre eux sont des spéculateurs financiers qui tirent profit des aléas du marché du transport maritime. Notamment, en ce qui concerne les pavillons de complaisance, ceux-ci sont attribués très facilement par les Etats, peu regardants sur les matières de fiscalité, de droit du travail, de sécurité mais aussi de normes environnementales. Il s’agit par exemple d’Etats comme le Panama qui possède 20% de la flotte mondiale des bateaux sous pavillon de complaisance (la flotte de bateaux sous pavillon de complaisance représente 63% de la flotte mondiale). Ces bateaux bénéficient du fait que les autorités de l'Etat sous lequel flotte le pavillon ne vérifient qu'une fois par an les normes sécuritaires du bateau et via des sociétés privées peu scrupuleuses. Les armateurs et capitaines de bateaux vont donc utiliser le carburant le moins cher en l'absence de contrôle et, conséquemment, de sanction. Ces carburants peuvent émettre jusqu'à plus de 9 fois la limite autorisée en émission de dioxyde de soufre.
Ces navires projettent une grande quantité de dioxyde de soufre en mer mais aussi après leurs amarrages aux ports car ils utilisent leurs carburants pour faire fonctionner l'électricité à bord. En effet, la flotte mondiale est en moyenne âgée de 14 ans et ne possède pas ce type de technologies.(5) C'est ainsi que les bateaux de croisières pouvant accueillir jusqu'à 8500 personnes, et ayant notamment à son bord jusqu’à 21 piscines, un casino, des manèges et des boutiques consomment à plein régime aux abords de certaines grandes villes tel que Marseille, Ajaccio ou Palma de Mallorca.(6). Le fioul lourd utilisé pour ces navires est d'une teneur en soufre 1,500 à 3,500 fois supérieure à celui du fioul utilisé dans les voitures diesels. A Marseille, environ 20% des particules en suspension viennent de cette pollution maritime. Les bateaux de croisières qui cheminent dans la Mer Méditerranée polluent donc en mer mais aussi à quai, et empoisonnent les habitants proches du port, recouvrant les terrassent et les façades des bâtiments d'une nappe noire, et garnissant les poumons des habitants des villes littorales de dioxyde de soufre et de dioxyde de carbone.
La régulation de l'organisation maritime internationale favorisant une transition énergétique
L'Organisation des Nations unies a créé en 1948 l'Organisation maritime internationale. Celle-ci est spécialisée dans les questions maritimes. Elle va encourager la collaboration entre les 172 Etats membres et adopter des normes de sécurités et contre la pollution du milieu marin. Par ailleurs, l'article 38 de la convention portant création de l'organisation maritime internationale permet à celle-ci de prendre des initiatives via son Comité de la protection du milieu marin (MEPC) afin de prévenir et de combattre la pollution par les navires. Cette organisation limite depuis 2007 le taux d'oxyde de soufre que les navires peuvent relâcher comme le montre le tableau ci-dessous.

Le Comité de la production du milieu marin a révisé l'annexe VI du traité MARPOL afin d’inclure ces nouveaux seuils. Cette première limitation dans certaines zones est entrée en vigueur le 1er juillet 2010. Celle-ci diminue le taux d’émission de soufre depuis le 1 juillet 2010 dans certaines zones que le comité a fixées. Ces « zones de contrôle des émissions » comprennent : la Mer Baltique, la Mer du Nord, les zones littorales du Canada et des Etats-Unis (pour l'Océan Pacifique et Atlantique), le golfe du Mexique, le littorale des côtes des îles Hawaïenne, le littoral des Etats-Unis pour la Mer des Caraïbes. Dans ces zones, le fioul utilisé ne doit pas avoir une teneur supérieure à 1,0% soit une émission de 43,3 ppm de dioxyde de soufre par volume de dioxyde de carbone. La convention MARPOL a limité fortement l'émission de soufre dans ces zones à partir du 1er janvier 2015 car la teneur autorisée est alors de 0,10% soit 4,3 ppm de SO2 par volume de CO2. Cette limitation anéantie quasiment l'utilisation de fioul lourd : les navires qui passeront désormais par ces littoraux et mers devront utiliser du carburant à gaz non liquéfié.
Dans les autres zones de la surface du globe, la limitation n'était seulement que de 4,50%, puis de 3,50 à partir du 1er janvier 2012 mais elle passera à 0,50 à partir du 1 er janvier 2020. Cette diminution drastique de 9 fois le taux de teneur soufre est censé forcer les compagnies de navire à définitivement passer au carburant de gaz non liquéfié.
L'Union européenne a fixé ses propres limitations par la directive 1999/32/CE. Celle-ci impose, en son article 4, aux Etats membres de prendre toutes les mesures nécessaires « pour garantir que les gas-oils, y compris les gas-oils à usage maritime, ne soient pas utilisés sur leur territoire, à partir du 1er janvier 2008 si leur teneur en soufre dépasse 0,10% en masse. »
La France a, depuis la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, sanctionné les personnes ne respectant pas les taux fixés par la convention MARPOL. Elle ajoute que les navires à quai pendant plus de deux heures consécutives doivent utiliser des combustibles marins dont la teneur en soufre est inférieure ou égale à 0,10% en masse. Les infractions à ces dispositions sont passibles d'un an d'emprisonnement et de 200 000 euros d'amende.
Le trop rare contrôle des émissions des navires
Après l’implantation de cette limitation, certaines compagnies de transport maritime ont pris la décision de changer leurs flottes, comme par exemple la compagnie française CMA CGM (8), 3ème mondial du transport de porte-conteneurs privilégie dès aujourd'hui l'utilisation d'un fioul à 0,5%. Elle a investi dans 9 navires fonctionnant au gaz non liquéfié, ce qui diminue de 99% les émissions de soufre ; l'utilisation de ce gaz entraîne aussi une réduction de 25% d’émission de CO2, de 85% du monoxyde d'azote ce qui résulte à une diminution de 99% de particules fines. De même, l'armateur italo-suisse MSC croisières a annoncé une commande de 4 paquebots au gaz naturel liquéfié. Néanmoins, ces compagnies font office de « bon élève », et peu d'autres compagnies concernées respectent les nouvelles législations mises en œuvre depuis 2010. Peu de navires utilisent du gaz non liquéfié, seulement une soixantaine (9) sur la flotte mondiale de transport maritime (d'individus et de produits) d'environ 93 000 navires (10).
Un jugement récent du tribunal correctionnel de Marseille va démontrer un exemple du non-respect de ces législations. Le capitaine de navire de nationalité américaine va être assigné en justice pour ne pas avoir respecté les limites légales de teneur en soufre de l'utilisation du carburant. Il a été sanctionné à une amende de 100 000 euros pour pollution de l'air. Le bateau de croisière qui naviguait sur la mer méditerranée depuis Barcelone a été contrôlé dans le port de Marseille. Il utilisait un fioul chargé à 1,68% de soufre, alors que la limite était de 1,5%. Cette limite donnée par l'annexe VI de la convention MARPOL est transposé en droit français par la loi du 17 aout 2015 qui fixe la limite de 1,5% pour les navires à passagers. Le capitaine de navire « savait pertinemment le caractère irrégulier du fioul » : il a donc été condamné car ne respectait pas le code de l'environnement français. Des dommages et intérêts d'un montant de 5 000 euros à titre individuel a été versé pour les associations « Nature Environnement », « Surfrider Foundation » et à la ligue de protection des oiseaux.(11)
Ce type de sanction est cependant très rare : l'association France nature environnement l'a particulièrement souligné au procès en démontrant que « le sentiment d'impunité des capitaines de paquebots et de bateau de croisière est lié à la difficulté de contrôler les activités illicites et le niveau très bas de procédures légales allant à leur encontre autour du globe sur ce domaine ».(12)
Benjamin Kahn
Sources:
1 Arthur Conan Doyle, Le signe des quatre, chapitre 1, page 13.
2 https://www.lemonde.fr/planete/article/2018/05/02/la-pollution-de-l-air-tue-7-millions-de-personnes-par-an-dans-le-monde-alerte-l-oms_5293076_3244.html
3 https://www.capital.fr/economie-politique/combien-la-pollution-tue-de-personnes-par-an-1249805
4 https://www.euractiv.com/section/science-policymaking/news/pollution-from-ships-kills-thousands-each-year/
5 https://www.fnepaca.fr/images/imagesFCK/file/actions/sante/air_croisieres_2015/dpshipping200916.pdf
9https://www.gaz-mobilite.fr/dossiers/gnl-carburant-maritime-europe/ (voir « combien de navire GNL en activité dans le monde)
10https://unctad.org/en/publicationslibrary/rmt2016_en.pdf (voir A. Structure of the world fleet : 90 917 navires en 2016).
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