Directive droit d’auteur et paquet de compromis : un poids en moins ou en plus ?
- master1ipituvsq
- 11 févr. 2019
- 5 min de lecture
Dernière mise à jour : 22 mars 2019

La lutte continue pour l’adoption de la directive européenne sur le droit d’auteur. Un nouveau texte de proposition fuité semble indiquer (entre autres) la possibilité d’instaurer un régime de responsabilité allégé limité aux plus petites entreprises (1).
Récapitulatif sur la directive droit d’auteur
La Directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique (2) est, à l’origine, un texte proposé en 2016 par la Commission Européenne et dont l'objectif est d’adapter le droit d’auteur à l’ère du numérique. Après de nombreuses modifications, le Parlement européen adopte une version amendée le 12 septembre 2018 (3). La directive entre alors dans une phase de trilogue (discussions entre la Commission, le Parlement et le Conseil de l’UE). Mais plusieurs trilogues défilent et les négociations s’embourbent. Le 6ème trilogue, prévu pour le 21 janvier 2019 (et supposé être le dernier), est annulé en raison de l’absence de compromis lors du dernier COREPER (réunion des Comité des représentants permanents) le 18 janvier 2019.
Ce blocage est dû à la négociation houleuse de plusieurs propositions controversées, dont le célèbre article 13 de la directive qui, dans sa première version, obligeait les plateformes à filtrer le contenu de manière automatisée afin de détecter les atteintes au copyright. Un article qui a enflammé les débats, dans la mesures où les systèmes d’identification et de filtrage de contenu (tel ContentID pour Youtube) sont encore loin d’avoir fait leur preuves. On les accuse, entre autres, de censure abusive, d’imposer des critères arbitraires et de porter atteinte à la libre expression des utilisateurs (4).
Le 12 décembre 2018, l’article 13 a été amendé et à première vue, ne semble plus imposer une obligation de filtrage automatique. Simplement, les prestataires de services sont soumis à une obligation de conclure des contrats de licence « justes et approprié » avec les titulaires de droits » et devront coopérer « de bonne foi » avec ces derniers afin d’empêcher que leur œuvres protégées ne fassent l’objet d’une publication illicite. De plus, le texte amendé prévoit que « le blocage automatique de contenu soit évité ». Enfin, sont expressément visés « les prestataires de services de partage de contenus en ligne » qui « procèdent à un acte de communication au public ». Malgré ces modifications, l’article 13 peine à obtenir l’unanimité.
Un document fuité par le site Politico et daté du 4 février 2019 révèle un « paquet de compromis » établis par la Présidence du Conseil de l’UE
La proposition (5) inclue en premier lieu une définition du « prestataire de services de partage de contenus en ligne ». Ainsi le prestataire de service de partage de contenu en ligne est celui qui fournit un service de la société de l’information et dont l’un des objectifs principaux consiste à mettre à la disposition du public une quantité importante d’œuvres (au sens large, et non plus d’œuvres protégées) ou tout autre objet (de même, plus forcément protégé) mis en ligne par ses utilisateurs, qu’il (le service) organise et promeut dans un but lucratif. On note ici l’importance de deux critères déterminants : le critère de mise à disposition du contenu ainsi que le rôle actif du prestataire (qui organise et fait la promotion de ce contenu). Cette définition reprend les grandes lignes du considérant 37(bis) de la directive amendée de 2018.
Concernant les micro et petites entreprises, la proposition prévoit un régime de responsabilité allégé soumis à certaines conditions. Il ne s’appliquera qu’aux entreprises dont le chiffre d’affaire est inférieur à 10 millions d’euros et dont les services ont été accessibles au public de l’UE pendant moins de 3 ans. Enfin, l’audience du site ne doit pas dépasser 5 millions de visiteurs uniques par mois. Ces entreprises ne seront alors soumises qu’à une obligation de « notice and take down » (de retirer le contenu litigieux après avoir été notifiées), mais seront sujettes à des obligations supplémentaires si elles dépassent le seuil de visiteurs uniques prévu. La justification principale avancée par le texte est que ce régime allégé ne doit bénéficier qu’aux vraies nouvelles entreprises et non aux entreprises fictives créés afin d’étendre le bénéfice du régime à une sœur qui n’en bénéficie pas ou plus.
Se pose également encore la question de ce qui constitue une « communication au public » de la part du prestataire de services ; une question qui se place au centre du débat de la directive, mais aussi au cœur de la jurisprudence européenne récente, comme le montre une affaire YouTube (C-682/18) (6). La question était de savoir si une plateforme telle que Youtube effectuait un « acte de communication au public » lorsque ses utilisateurs mettent en ligne un contenu illicite. Quelques éléments de réponse sont apportés par la CJUE. Cette dernière fait une importante distinction entre la plateforme The Pirate Bay (ayant elle-même fait l’objet d’une précédente affaire) et la plateforme Youtube. Contrairement à la première, Youtube ne montre pas une intention de voir sa plateforme utilisée pour la mise en ligne de contenu illicite. Plusieurs paramètres doivent ainsi être pris en compte par la juridiction nationale, tels que :
La plateforme interdit la mise en ligne de contenu illicite
La plateforme met en place des outils techniques afin de permettre aux ayants-droits de retirer contenu illicite
La plateforme réagit promptement afin de retirer ou d’annuler l’accès à un contenu illicite, après avoir eu connaissance de ce contenu
Enfin, la proposition fuitée prévoit également d’ajouter une atténuation générale de responsabilité pour les prestataires de services, à trois conditions cumulatives. Ces derniers en bénéficient dès lors :
Qu’ils déploient leurs meilleurs efforts pour obtenir une autorisation de licence et ;
Qu’ils déploient leurs meilleurs efforts pour s’assurer qu’ils n’ont pas donné accès à des œuvres protégées pour lesquelles les ayants-droits ont fourni aux prestataires les informations nécessaires et dans tous les cas;
Qu’ils agissent promptement après avoir reçu une notification suffisamment motivée de l’ayant-droit, de retirer de leur site ou d’annuler l’accès à l’œuvre en question qu’ils déploient leurs meilleurs efforts pour empêcher sa remise en ligne ultérieure.
Le texte précise ensuite les critères à prendre en compte afin de déterminer si un prestataire a respecté les obligations listées ci-dessus. On y trouve le type, l’audience, la taille du service, le nombre et le type d’œuvres mises en ligne par les utilisateurs, la disponibilité de mesures appropriées et effectives ainsi que leur coût pour les prestataires de services. Il est important de noter que cette obligation de faire les « meilleurs efforts » semble imposer une obligation de moyen, et non de résultat.
Néanmoins, selon l’eurodéputée Julia Reda, l’article 13 continue de représenter un danger pour l’Internet libre : finalement, ce « deal Franco-Allemand » aura toujours pour effet d’obliger tous les prestataires à installer des logiciels de filtrage afin de respecter la directive, à l’exception des micro et petites entreprises remplissant les conditions drastiques prévues par le texte (7).
D’autres changements sont à prévoir et l’équipe du blog de l’UVSQ Master IP/IT continue de suivre attentivement cette affaire, puisque la prochaine réunion des institutions européennes devrait avoir lieu le 12 février. Il sera intéressant de voir si un compromis sera enfin atteint et dans quelle mesure l’obligation de filtrage sera maintenue.
Daria PUTILINA
(1) https://www.worldipreview.com/news/eu-to-consider-softer-liability-in-copyright-directive-17468
(3) http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.do?pubRef=-//EP//TEXT+TA+P8-TA-2018-0337+0+DOC+XML+V0//FR
(5) https://www.politico.eu/wp-content/uploads/2019/02/Mandate-Romania-February-8.pdf
(7) https://juliareda.eu/2019/02/article-13-worse/







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